Après avoir remué ciel et terre et multiplié les déclarations incendiaires à l’égard du Président de la République, Rached Ghannouchi a décidé opportunément de changer son fusil d’épaule, allant jusqu’à qualifier les mesures prises par Kaïs Saïed de « redressement d’un parcours » !
La tenue ce mercredi de la 52e session du Conseil de la Choura dans une ambiance tendue est venue marquer un tournant décisif dans l’histoire du parti Ennahdha et confirmer les profondes divergences qui ont fini par éclater au grand jour. Plusieurs membres ont franchi le Rubicon et annoncé leur retrait de cette session, en guise de protestation. Parmi ces dirigeants, trois députées femmes, Jamila Ksiksi, Monia Ibrahim et Yamina Zoghlami. Cette dernière a, par ailleurs, publié sur les réseaux sociaux son refus explicite et assumé d’endosser la responsabilité de toute décision émanant de cette réunion. Son argument, cette incompréhensible fuite en avant. « Le pays ainsi que le parti passent par un moment grave et je refuse de jouer le rôle de faux témoin », a-t-elle asséné.
La colère des jeunes
Le « coup de force » opéré par le locataire de Carthage a pris au dépourvu tout le monde, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Mais les mesures annoncées dont, notamment, le gel des activités de l’Assemblée, le limogeage du chef du gouvernement et la levée de l’immunité des députés ont autrement impacté le parti Ennahdha.
Un parti au pouvoir quasiment depuis dix ans et qui n’a fait qu’accumuler les fautes, s’attirant les foudres aussi bien de la majorité des Tunisiens que, chose improbable, d’une grande partie de ses adhérents jadis si disciplinés. Une insurrection en bonne et due forme qui avait déjà éclaté suite à l’alliance contre nature scellée avec le parti Qalb Tounès au lendemain des élections de 2019. Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis, rétorquait alors malicieusement Rached Ghannouchi.
Dicton tout prêt que le Cheikh brandissait à loisir. Seulement, ses revirements ont eu le tort de ne pas mesurer l’importance de la fronde qui grondait, notamment chez les jeunes partisans.
Les démissions des poids lourds du mouvement n’ont pas plus inquiété l’imperturbable Rached Ghannouchi. Elles se sont pourtant avérées lourdes de conséquences.
Après avoir remué ciel et terre et multiplié les déclarations incendiaires à l’égard du Président de la République, Rached Ghannouchi a décidé opportunément de changer son fusil d’épaule, allant jusqu’à qualifier les mesures prises par Kaïs Saïed de « redressement d’un parcours » ! Reniement de soi, commentera aussitôt sur facebook Samir Dilou, l’un des signataires de la pétition des 100 dont l’objet était la demande solennelle faite à Ghannouchi de ne pas se présenter au prochain congrès. Candidature à laquelle d’ailleurs il n’avait pas droit sans amendement des statuts internes du parti.
Le député Dilou n’excluait pas des jours difficiles pour Ennahdha.
Seulement et au final, il semblerait que ce soient les «faucons» qui ont eu le dernier mot. Ils rejettent la moindre remise en cause, persévérant en toute quiétude dans le déni, avec les risques que cela représente pour leur mouvement
Fuite en avant en dépit des dissensions
Le mouvement Ennahdha n’est plus aujourd’hui à l’abri d’une scission. Les travaux du Conseil consultatif ont été émaillés de querelles et échanges d’invectives, d’appels à la dissolution immédiate de l’actuel bureau exécutif dirigé par Abdelkarim Harouni.
Quelques membres ont préféré se retirer. Le communiqué final du Conseil reprend le vocabulaire pur et dur des heures qui ont suivi l’annonce du Président et n’a pas cru bon de tenir compte de cette colère et des doléances exprimées déjà en interne par des membres influents.
En effet, le mouvement persiste et signe et fustige ce qu’il a qualifié de « coup d’Etat qui a bafoué la Constitution et paralysé les institutions, suite à la dissolution du gouvernement et la suspension des travaux du parlement ».
Langue de bois, selon certains jeunes du parti qui appellent ni plus ni moins au départ des « vieux ».
Concrétisant les craintes de la députée Yamina Zoghlami et de bien d’autres, le parti persiste et signe en reléguant aux calendes grecques les réformes qualifiées d’urgentes par les protestataires. Une posture en total déphasage avec le cataclysme qui a secoué — et continue de le faire — le paysage politique et l’ensemble du pays. Le communiqué dit comprendre « la colère populaire grandissante », mais omet de se rappeler, visiblement, que c’est cette même colère qui a donné lieu à la révolution en 2010-2011 et poussé, au final, Ben Ali à fuir. Dans son aveuglement, l’attitude du mouvement Ennahdha rappelle étrangement le dernier discours du président déchu dans lequel il reprend piteusement la célèbre phrase de Charles de Gaulle : «Je vous ai compris».
Le Conseil a appelé au retour rapide à « la situation constitutionnelle », au lancement d’un dialogue national pour procéder aux réformes politiques et économiques dont le pays a besoin. Il a par ailleurs souligné la nécessité de lancer un dialogue avec tous les partis, notamment avec le Président de la République, afin de surmonter cette crise complexe, instaurer la paix sociale et mettre en œuvre les réformes nécessaires.
Ainsi, le statu quo persiste au sein d’un mouvement qui aurait pu mieux faire depuis la révolution et qui en a eu l’occasion et le temps.
Seulement, une équipe dirigeante, de plus en plus déconnectée, vivant dans sa propre bulle, le propre des dictateurs, a eu raison même de la fronde interne menée depuis des années par des membres, de moins en moins discrets et de plus en plus critiques à l’endroit de la direction de leur parti. « Celui qui ne saurait apprendre de l’Histoire et de ses vicissitudes, ne pourrait l’être ni par mon humble personne ni par qui que ce soit», a posté sur sa page facebook le dirigeant Abdellatif El Mekki. Visiblement, ces appels et autres alertes continuent de tomber dans l’oreille d’un sourd.